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Nouvelles du 15 septembre 2023 : Prison et santé mentale – Les recours de la dernière chance déposés à Strasbourg

La prison n’étant pas un lieu de soins, l’Action Maladie Psychique et Prison (AMPP) se bat pour que les personnes atteintes de troubles mentaux aient accès aux soins dont ils ont besoin et soient placées dans des institutions spécifiques.

Le Collectif 59 est l’un des volets de l’AMPP. Créé en août 2021, ce Collectif a pour but de dévoiler à un plus large public, les conditions réelles d’exécution en prison d’une mesure thérapeutique, auxquelles sont astreints patients détenus selon l’art. 59 du Code pénal suisse (CPS)..

Le Collectif 59 est aussi un mouvement d’entraide et de soutien à la lutte des proches pour de meilleures conditions de soins pour «leur» patient-détenu. Ensemble, ils veulent agir concrètement afin que la Suisse romande se dote enfin d’institutions de soins en santé mentale dignes de ce nom.

En un premier temps, Christian*,  accompagné de sa famille s’est engagé activement pour témoigner de son parcours carcéral. Puis Raphaël* et ses proches sortent aussi de l’ombre. Et aujourd’hui, c’est au tour de Marc* et de ses proches de rejoindre le mouvement, car il souhaite donner maintenant un écho aux épisodes traumatiques de sa détention.

Par les courriels «Nouvelles du Collectif 59» vous pouvez suivre les démarches significatives de l’évolution de ces trois Affaires.

Christian*, Raphaël* et Marc*= prénoms d’emprunt

Nouvelles du 15 septembre 2023 : Deux recours de la dernière chance auprès de la Cour européenne des droits humains

Aux personnes intéressées et/ou concernées par les activités et thématiques du Graap-Association,

À nos partenaires psychosociaux et politiques,

À vous qui soutenez le Collectif 59,

Madame, Monsieur, Chère et Cher Ami-e,

Pour deux des situations dans lesquelles le Collectif 59 est investi, nous en sommes arrivés à tenter notre dernière chance en frappant à la porte de la Cour européenne des droits humains à Strasbourg (CrEDH).

Au niveau Suisse, avec nos recours et appels, nous avons franchi toutes les étapes, du Tribunal d’arrondissement jusqu’au Tribunal fédéral (TF). Nous avons répété aux Présidents des instances judiciaires suisses avec conviction et détermination que La prison n’est pas un hôpital, ni un lieu de soins. Le placement, sans date de sortie d’un malade mental dans un établissement pénitentiaire pour y exécuter une mesure thérapeutique est illicite. Illicite en regard du simple bon sens, mais aussi en regard du respect de la Convention Européenne des Droits Humains, convention signée par la Suisse (CEDH).

Le Tribunal fédéral s’évertue à nier cette évidence, il reprend et valide les décisions des instances cantonales. Sa réponse est toujours la même : nos recours sont manifestement mal fondés car des consultations ambulatoires données par des professionnels en soins psychiatriques font l’affaire.  Nos recours sont rejetés et l’assistance judiciaire est refusée.

Arrivés à ce stade, pour deux des affaires que nous défendons, il ne reste donc plus que d’en appeler à la Cour de Strasbourg qui pourrait rendre justice aux patients concernés.

Nous avons donc gratté tous nos fonds de tiroirs et épuisé notre Fonds de défense judiciaire constitué de vos dons. Nous avons compté avec le travail quasi bénévole de notre avocate et ainsi, nous sommes tout juste parvenus à couvrir les frais inhérents aux dépôts de recours. Et, nous avons pu déposer les deux requêtes à la Cour européenne dont il est question dans ces <Nouvelles>.

La première requête est celle de Christian* dont nous avons relaté les événements significatifs de son parcours depuis les premières <Nouvelles du Collectif 59> .

La deuxième requête concerne Marc* que nous connaissons quasiment depuis le début de son incarcération en novembre 2015. C’est la première fois que nous vous parlons de lui et dorénavant, nous vous informerons aussi de l’évolution de cette affaire dans les prochaines <Nouvelles>.

Marc* et Christian* souffrent de troubles psychiques. Ils ont commis des délits qui leur ont valu à tous deux moins d’un an et demi de privation de liberté. Tous deux ont été détenus dans diverses prisons pour l’exécution de mesures thérapeutiques et ont largement purgé leur peine. Marc* et Christian* ont aussi tous les deux vu leur recours rejeté par le Tribunal fédéral.

Les arguments de ces deux requêtes invoquent le non respect des articles 3 et 5 de la Convention européenne des droits humains :

Art 3 CEDH :   Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. 

Art.5 ch.1 :       Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voie légales :    

      a)    S’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent;
      e)     S’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond;

Voyons maintenant les arguments déployés pour chaque affaire.

Affaire Christian*

Lors des Nouvelles du Collectif 59 du mois de juillet dernier, nous partagions avec vous la satisfaction d’avoir remporté une Victoire d’étape, le Tribunal cantonal validait notre recours et accordait la libération conditionnelle à Christian*. Il est enfin libre. Et, maintenant, dans le foyer, où il a choisi de rester, il va bien. Il réapprend à vivre en liberté et avec un handicap psychique.

Cependant, presque trois ans en prison pour une bagarre, c’est long. Une fois déduits les 12 mois de sanction, il reste  698 jours de trop. De trop, car illicites en regard de la CEDH. Cependant, ce n’est que le placement illicite de 390 jours de détention à la prison des Établissements pénitentiaires de la plaine de l’Orbe, la Colonie ouverte, qui a fait l’objet de cette requête.  La Cour entre en matière puisqu’elle a déjà accusé réception et attribué le No 14823/23 à cette requête.

Objet de la requête :

Cette requête porte donc sur la décision de l’Office d’exécution des peines du 27 janvier 2022 qui ordonnait le placement de Christian* à la Colonie ouverte, secteur faisant partie de la prison des  EPO (Établissements pénitentiaires de la Plaine de l’Orbe). Décision avalisée par le Tribunal fédéral, dans son arrêt du 29 novembre 2022. Ceci, dans le but que la Suisse soit obligée d’admettre que la prison n’est pas un lieu d’exécution de mesures, et indemnise les patients détenus en illégalité.

La maladie psychique n’est pas un crime – Violation de l’Art. 3 de la CEDH

Art 3 CEDH :   Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. 

Nous invoquons le fait qu’il y a maltraitance à placer un patient atteint d’une grave pathologie psychique en prison, même si c’est le secteur ouvert d’un établissement pénitentiaire, comme l’est La Colonie ouverte. Christian* a subi un placement sans avoir de condamnation et sans connaître la date de sa libération ; Il a dû partager son quotidien avec des détenus de droit commun, délinquants ou criminels ; il a suivi un traitement psychiatrique de seconde zone où l’accès aux soins en santé mentale était limité à la suppression du risque de récidive ou de fuite. La mission d’une prison est avant tout punitive et sécuritaire, à l’opposé des buts d’une structure qui vise le rétablissement de la santé mentale.

Victime de présomption de violence, Christian* est rendu coupable, par son placement à la Colonie ouverte, de son diagnostic. C’est par conséquent une discrimination humiliante, une atteinte à la dignité humaine. C’est un traitement inhumain et dégradant et inadmissible pour un pays comme la Suisse.

Sans peine, pas de prison –  Violation art 5 ch 1 lettre a CEDH

Art.5 ch.1  Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf <…> a)s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent;

Incarcéré en prison le 12 mai 2020, Christian* a été condamné en 2021 à 12 mois de privation de liberté. Lors de son placement à la Colonie ouverte, il avait déjà purgé sa peine depuis 336 jours. Une détention régulière en prison signifie que l’on est condamné à une peine privative de liberté. Comme Christian a payé pour son délit et qu’il est illégal de le maintenir en prison selon l’article 5 lettre a) de la CEDH. La Suisse doit l’indemniser pour les jours subis en détention illicite.

La détention en prison doit avoir un lien direct avec la condamnation initiale. Dès le moment où Christian* a purgé l’entier de la peine, sa détention n’étant plus en lien direct avec la condamnation initiale, le lien de causalité est rompu après l’échéance de la peine. Ainsi, le maintien de Christian en prison est illicite.

La Colonie ouverte n’est pas un établissement fermé – Violation art 5 ch 1 lettre e CEDH

Art.5 ch.1 Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf <…> e) S’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond;

Le cas échéant, en Suisse, la détention en prison ne peut se fonder que sur une indication médicale permettant la privation de liberté d’une personne atteinte d’un trouble mental.

Placement en établissement fermé selon (art. 59 al. 3 du CPS).

Christian a été placé sur décision de l’Office d’exécution des peines en établissement fermé estimant qu’il y avait à craindre qu’il commette de nouvelles infractions dans le cas où il pourrait arrêter son traitement. Relevons que Christian* n’a jamais été condamné pour des crimes, mais uniquement pour des délits. Selon le Code pénal suisse, il n’est ainsi pas considéré comme dangereux.

Agravation de l’état de santé

En détention, l’état de santé de Christian* s’est aggravé. Il a dû être transféré à plusieurs reprises, en état de décompensation, à l’Unité psychiatrique de la prison et à l’Unité hospitalière de Curabilis. Manifestement le traitement ambulatoire dispensé par le Service de psychiatrie pénitentiaire de la Croisée et ensuite à la Colonie ouverte des EPO était largement insuffisant. Il n’avait pas accès aux soins dont il avait besoin. De plus, il pouvait rester dans ces unités psychiatriques juste le temps de la stabilisation de la crise, ensuite il devait retourner dans le secteur cellulaire.

Placement en prison à La Colonie ouverte, un contre-sens

Selon l’art. 59 al.3 du Code pénal, un placement en établissement fermé ne peut légalement se justifier que dans la mesure où il y a lieu de craindre que l’auteur ne s’enfuie ou ne commette de nouvelles infractions. Or, l’Office d’exécution des peines en ayant transféré Christian* à la Colonie ouverte a ainsi admis qu’il pouvait être placé dans un établissement ouvert.

La justification du maintien en détention se base, entre autres, sur le risque de fuite. Ordonner le placement en prison à La Colonie ouverte apparaît pour le moins comme un contresens.

Le placement en prison à La Colonie ouverte, une maltraitance

C’est donc illégalement qu’il a été maintenu en prison où il n’a  bénéficié d’aucun soutien socio ou psychothérapeutique en dehors d’un entretien avec un psychiatre, bimensuel tout au plus.

Quoiqu’en pensent nos autorités judiciaires, 15 à 60 minutes par mois d’entretien avec un psychiatre ne répond pas à la définition d’« établissement psychiatrique approprié » dont il est question à l’art. 59 du Code pénal suisse. La Colonie ouverte ne disposant pas de section spéciale pour des détenus atteints dans leur santé mentale, ceux-ci doivent cohabiter avec les délinquants et criminels de droit commun.

Dans ces conditions, la détention prolongée au-delà de la sanction contribue à ralentir la reconstruction d’une image de soi positive et l’élaboration d’un savoir vivre avec un diagnostic de troubles mentaux. L’exécution d’une mesure thérapeutique en prison est une sanction supplémentaire discriminante pour les personnes concernées. En plus de la dégradation de la santé du détenu, elle est un frein à sa réhabilitation. Et l’on peut parler de maltraitance.

La détention de Christian* à la Colonie ouverte, du 11 mars 2022 au 5 avril 2023 date de sa libération conditionnelle ne correspond manifestement pas aux critères d’une institution psychiatrique digne de ce nom, elle est donc illicite. Christian doit être indemnisé pour les 390 jours subis, en détention dans un établissement carcéral.

Affaire Marc*

Le parcours de Marc* est également révélateur des carences du système carcéral en matière d’exécution de mesures thérapeutiques en prison. Mais aussi sur le manque d’intégration des proches dans le processus de rétablissement. En quelques mots, voici son histoire.

Son histoire, en bref

Un Vaudois à l’enfance sans histoire, rattrapé à l’adolescence par les troubles psychiques

Né en 1983, sensible, attachant, Marc* était bon élève à l’école, doué dans de nombreux domaines, tout semblait lui sourire jusqu’ à ce que la maladie le rattrape à la sortie de l’adolescence. En 2005, il obtient la rente AI en raison de troubles psychiques. Plusieurs diagnostics sont posés, trouble bipolaire, trouble schizo-affectif de type maniaque. Pathologie aggravée encore par la suite par ses addictions (stupéfiants, alcool). Il est aussi question de délires mystiques et d’anosognosie. À partir de 2005, c’est la valse des hospitalisations, des périodes de rémission et des rechutes durant lesquelles Marc commet divers délits mineurs. Les délits devenant de plus en plus inquiétants, la famille s’inquiète mais n’est pas entendue par l’équipe soignante.

Un sérieux dérapage qui aboutit en prison

Lors de sa dernière hospitalisation en été 2015, Marc* obtient un congé. La mère, non informée, voit arriver son fils très agité devant chez elle. Et en un rien de temps, la situation explose et devient incontrôlable. Marc* énervé part dans un discours mystique incompréhensible pour ses interlocuteurs. Et ce qui était prévisible arrive : Marc* blesse très sérieusement le bras d’une des personnes présentes. La police intervient. Et, c’est à la prison de La Croisée, où sont détenues les personnes avant jugement, que Marc* commence son parcours carcéral.

Marc* a été condamné à une peine de prison à une peine privative de liberté de 15 mois. Le tribunal l’a déclaré totalement irresponsable pour une partie des faits reprochés et il a ordonné, conformément aux conclusions de l’expertise psychiatrique, une mesure thérapeutique en institution psychiatrique, selon l’art. 59 al.3 du Code pénal.

Malgré cela, il a dû exécuter la mesure thérapeutique en prison jusqu’au début de l’année 2021 à l’exception d’un placement dans une institution pour adultes en difficultés, qui n’a duré que 7 jours. Tentative de placement avortée en raison d’une fugue d’une vingtaine d’heures. Fugue qui lui a valu un premier retour illicite à la case prison. La fugue devant faire partie des accrocs d’un projet de rétablissement.

Deuxième tentative de placement en foyer

Ce n’est qu’à partir du 25 janvier 2021,  que Marc*a été placé dans un établissement psycho-social médicalisé. Pourtant, les experts avaient préconisé, en 2016 déjà, que “pour diminuer le risque de récidive l’expertisé avait besoin d’un traitement médicamenteux, d’un suivi psychiatrique et psycho-éducatif et d’un cadre étayant, structurant et contenant. Sur un plan psychiatrique, un foyer est le lieu psycho-éducatif le plus à même d’offrir le traitement adéquat à l’expertisé“.

Un singulier manque de coordination

Alors que Marc* montrait de sérieux signes de décompensation difficilement maîtrisables par l’équipe éducative du foyer concerné, il reçoit le 23 septembre 2021, la décision de la Juge d’application des peines ordonnant sa libération conditionnelle. La condamnation initiale est ainsi définitivement purgée, même si la libération est assortie de conditions.

Cette décision de libération conditionnelle a fait l’effet d’un booster et en quelques jours la décompensation psychiatrique était telle qu’une hospitalisation à fin d’assistance (PLAFA) a été ordonnée. Marc* ne voulait/ne pouvait pas entendre que cette liberté tombée du ciel comportait des conditions.

Deuxième retour à la case prison

Comme cela était prévisible, dès décembre 2021, Marc* se retrouve en prison. La Juge d’application des peines a révoqué sa libération conditionnelle et l’Office d’exécution des peines a ordonné, le 16 décembre 2021, sa réintégration en milieu fermé, soit en prison à Orbe, d’abord à la Croisée puis à la Colonie fermée. Inutile de dire que son état se dégrade encore. Quand il n’est pas confiné avec des prisonniers de droit commun, il est envoyé à l’isolement près de six semaines consécutives, ce qui est contraire à la loi.

Enfin le placement à Curabilis

Le 9 janvier 2023, enfin, Marc* est placé à l’Unité fermée de mesures thérapeutiques de Curabilis.

Et venons maintenant à la requête adressée le 7 août 2023 à la Cour européenne des droits humains.

Objet de la requête :

Dès le retour de Marc* en prison, nous avons contesté son placement à la Croisée et à la Colonie fermée, ceci, jusqu’au Tribunal fédéral. Dès lors que dans son arrêt du 29 mars 2023, la plus haute instance de notre pays a rejeté nos recours et validé les deux placements de Marc*, nous n’avions pas d’autre choix que de porter cette affaire à la CrEDH à Strasbourg. Notre but étant toujours que la Suisse soit obligée d’admettre que la prison n’est pas un lieu d’exécution de mesure et indemnise les patients détenus en illégalité.

La maladie psychique n’est pas un crime – Violation de l’Art. 3 de la CEDH

Art 3 CEDH :   Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. 

Nous invoquons le fait que le placement à la Croisée et à la Colonie fermée sont illicitespar le fait que la Suisse se contente de substituer à l’établissement offrant les soins indispensables à rétablir la santé mentale et prévenir les risques de récidive, la prison dotée d’un service médical surchargé offrant des soins ambulatoires.

Tout comme dans l’Affaire de Christian*, le Tribunal fédéral nie l’évidence et se convainc que quelques entretiens de psy avec le patient gravement atteint et détenu derrière les barreaux va permettre le rétablissement et la non récidive. À la page 19 de son arrêt du 29 mars 2023 on lit : « On pourrait commencer par se demander si la Colonie fermée des EPO <Établissement de la plaines de l’Orbe> ne pourrait être assimilée à un service de santé mentale dans la mesure où elle est dotée des ressources et moyens nécessaires pour garantir une prise en charge thérapeutique effective. ».

Le Tribunal fédéral pense-t-il sincèrement que le personnel en prison présent 24/24 a le même cahier des charges ? la même formation ? les mêmes compétences que le personnel d’une institution psychiatrique ?

C’est grave, non ? On croit rêver !

Sans peine, pas de prison –  Violation art 5 ch 1 lettre a CEDH

Art.5 ch.1  Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf <…> a)s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent;

Le jugement initial est celui du 17 août 2017 et, depuis le temps, Marc* a purgé l’entier de sa peine. Il a été libéré conditionnellement de la mesure. En ne respectant pas les règles du foyer, il a désobéi, ne respectant pas les conditions de sa libération. Mais, il n’a commis aucune nouvelle infraction et la désobéissance aux règles n’est pas un délit punissable par le Code pénal. C’est pourquoi le retour en prison est illégal car sans fondement judiciaire.

La Colonie fermée n’est pas une institution psychiatrique fermée – Violation art 5 ch 1 lettre e CEDH

Art.5 ch.1 Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf <…> e) S’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond;

Le cas échéant, en Suisse, la détention en prison ne peut se fonder que sur une indication médicale permettant la privation de liberté d’une personne atteinte d’un trouble mental.

Placement abusif à La Croisée et à la Colonie fermée

Ce retour à la case prison, juste avant Noël, alors que Marc* est encore très instable et dans la révolte, a quelque chose de choquant. Antithérapeutique, cette décision a bien sûr été perçue par Marc* comme une punition.

Concrètement, dans cette affaire, tout porte à dire que la détention de Marc* en prison est abusive :

Pas d’indications médicales

Le retour en détention de Marc* est fondé sur le rapport de la psychiatre mandatée par l’Office d’exécution des peines pour assurer le suivi du traitement. Il stipule que l’état psychique de Marc* était inquiétant, que l’état de dangerosité pour lui-même (suicide) comme pour autrui (homicide) en milieu libre était élevé. Elle conclut en préconisant une obligation de soins dans un hôpital psychiatrique en milieu fermé (tel que Curabilis).

Dans son expertise le Dr Rigobert Hervais Kamdem a confirmé cet avis et a indiqué que “l’année 2022, où la mesure thérapeutique institutionnelle a tenté de se dérouler dans une unité psychiatrique en milieu pénitentiaire, ne semble pas avoir apporté un bénéfice thérapeutique. Les raisons sont probablement multiples <…> cadre thérapeutique d’une unité psychiatrique carcéral insuffisant (pas de présence soignante 24h/24 par exemple).

Des soins insuffisants

Rappelons que le placement en Unité psychiatrique carcérale n’est possible qu’en cas de décompensation et le reste du temps le patient est placé dans un secteur purement carcéral avec les détenus de droit commun sans soins permanents à l’exception d’un traitement ambulatoire. En réalité, ce traitement se résume trop souvent un entretien de 15 à 20 minutes par quinzaine quand il n’y a pas de problème particulier. La question de la prise de médicaments est abordée et, s’il reste du temps, on reviendra sur les raisons qui ont conduit le patients en prison. En fait, il n’y a pas suffisamment de personnel spécialisé sur place.

Les 6 derniers mois de 2022 de détention à la Colonie fermée ont été ponctués de 7 courts séjours à l’Unité hospitalière de Curabilis. Ces malheureux allers et retours démontrent l’instabilité encore actuelle de Marc*. De positif, nous retiendrons un échange avec Marc* où il décrit l’institution qui pourrait l’aider. L’Unité de mesures fermée de Curabilis coche bien quelques cases, et ça tombe bien car le 4 janvier 2023, l’Office d’exécution des peines décidait enfin du placement de Marc* dans le seul établissement fermé adapté pour l’exécution des mesures thérapeutiques de Suisse romande. Depuis le 9 janvier 2023, il est placé à l’Unité de mesures fermée de Curabilis. Certes, il s’agit d’un établissement pénitentiaire, mais qui dispose du personnel soignant sur place. C’est donc un établissement approprié, et légalement correct.

Le Service d’exécution des mesures n’a pas mis Marc* sur la liste d’attente de Curabilis immédiatement dès son arrestation le 14 décembre 2021, alors que les thérapeutes préconisaient déjà cet établissement depuis longtemps. Marc* ayant été malmené par des détenus de droits communs, il eût été d’autant plus important qu’il ne fut pas en contact avec ces détenus. Et, finalement vu la gravité de ces troubles, il était urgent qu’il puisse disposer de l’accompagnement d’un personnel soignant 24h/24.

L’État n’a pas fait son possible pour placer Marc*dès son retour en prison dans un établissement adéquat comme préconisé par sa thérapeute. La détention de Marc* du 14 décembre 2021 au 9 janvier 2023, date de son transfert à Curabilis, est donc illicite. Il doit être indemnisé pour les 391 jours subis en détention dans un établissement carcéral.

Affaire Raphaël*

Depuis nos dernières Nouvelles , rien n’a beaucoup changé.

Nous sommes toujours dans l’attente de la réponse de la COP (Commission vaudoise des plaintes des patients) à la dénonciation que les parents avaient déposée en automne 2022. Nous espérons vivement une réponse que nous pourrons évoquer dans les prochaines Nouvelles du Collectif 59. Nous y ferons aussi le point sur la situation de santé et les projets de Raphaël.

Un fonds de défense juridique, pourquoi ?

En avril 2022, nous avons gagné le recours pour le droit au remboursement des frais médicaux aux patients-détenus en prison. Dernièrement, nous avons gagné le recours pour la libération conditionnelle de Christian*. Maintenant nous avons pu déposer deux requêtes à la Cour européenne des droits humains à Strasbourg. Nous sommes convaincus que l’engagement, la détermination et la persévérance dans la lutte pour plus de justice c’est payant.

De recours en appels, d’oppositions en dénonciations, nombreuses sont les démarches à effectuer pour parvenir à la reconnaissance de simples évidences. Et lors que nous recevons une décision ponctuée par « le recours est manifestement mal fondé » et bien, l’Affaire en question est privée de toute aide financière. C’est donc grâce à vos dons que nous pouvons continuer de lutter et atteindre finalement notre but : pas de prison comme lieu d’exécution d’une mesure thérapeutique.

Comme nous le disions plus haut, nous avons épuisé notre Fonds de défense judiciaire généreusement constitué de vos dons récoltés lors de notre appel du mois de septembre 2021. L’énorme travail bénévole ne suffisant pas, nous voilà à nouveau contraints d’en appeler à votre soutien financier. Nous savons que nous pouvons compter avec vous et nous vous en sommes infiniment reconnaissants. Il n’y a pas de petits montants, tous sont les bienvenus.

En conclusion

Grâce à votre générosité, nous pourrons lutter jusqu’à ce que nous obtenions la reconnaissance que la prison n’est pas un lieu permettant l’équivalence des soins en santé mentale dont peuvent prétendre les habitants domiciliés en Suisse.

Croisons les doigts pour que la réponse à ces deux requêtes déposées à Strasbourg, soit empreinte de bon sens et qu’elle prime sur les contorsions juridiques de nos autorités judiciaires. Ainsi, cesseront les maltraitances et discriminations découlant du non accès à des soins en santé mentale dignes d’un pays réputé riche.

Nous vous remercions sincèrement pour votre intérêt, votre soutien solidaire et chaleureux.

Pour le Graap-A ,Mme Dominique Hafner, Présidente

Pour lAction Maladie Psychique et Prison du Graap,

Karen Hafsett Nye, Coordinatrice et Madeleine Pont, Resp. AMPP

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Nouvelles du 15 septembre 2023 : Prison et santé mentale – Les recours de la dernière chance déposés à Strasbourg

La prison n’étant pas un lieu de soins, l’Action Maladie Psychique et Prison (AMPP) se bat pour que les personnes atteintes de troubles mentaux aient accès aux soins dont ils ont besoin et soient placées dans des institutions spécifiques.

Le Collectif 59 est l’un des volets de l’AMPP. Créé en août 2021, ce Collectif a pour but de dévoiler à un plus large public, les conditions réelles d’exécution en prison d’une mesure thérapeutique, auxquelles sont astreints patients détenus selon l’art. 59 du Code pénal suisse (CPS)..

Le Collectif 59 est aussi un mouvement d’entraide et de soutien à la lutte des proches pour de meilleures conditions de soins pour «leur» patient-détenu. Ensemble, ils veulent agir concrètement afin que la Suisse romande se dote enfin d’institutions de soins en santé mentale dignes de ce nom.

En un premier temps, Christian*,  accompagné de sa famille s’est engagé activement pour témoigner de son parcours carcéral. Puis Raphaël* et ses proches sortent aussi de l’ombre. Et aujourd’hui, c’est au tour de Marc* et de ses proches de rejoindre le mouvement, car il souhaite donner maintenant un écho aux épisodes traumatiques de sa détention.

Par les courriels «Nouvelles du Collectif 59» vous pouvez suivre les démarches significatives de l’évolution de ces trois Affaires.

Christian*, Raphaël* et Marc*= prénoms d’emprunt

Nouvelles du 15 septembre 2023 : Deux recours de la dernière chance auprès de la Cour européenne des droits humains

Aux personnes intéressées et/ou concernées par les activités et thématiques du Graap-Association,

À nos partenaires psychosociaux et politiques,

À vous qui soutenez le Collectif 59,

Madame, Monsieur, Chère et Cher Ami-e,

Pour deux des situations dans lesquelles le Collectif 59 est investi, nous en sommes arrivés à tenter notre dernière chance en frappant à la porte de la Cour européenne des droits humains à Strasbourg (CrEDH).

Au niveau Suisse, avec nos recours et appels, nous avons franchi toutes les étapes, du Tribunal d’arrondissement jusqu’au Tribunal fédéral (TF). Nous avons répété aux Présidents des instances judiciaires suisses avec conviction et détermination que La prison n’est pas un hôpital, ni un lieu de soins. Le placement, sans date de sortie d’un malade mental dans un établissement pénitentiaire pour y exécuter une mesure thérapeutique est illicite. Illicite en regard du simple bon sens, mais aussi en regard du respect de la Convention Européenne des Droits Humains, convention signée par la Suisse (CEDH).

Le Tribunal fédéral s’évertue à nier cette évidence, il reprend et valide les décisions des instances cantonales. Sa réponse est toujours la même : nos recours sont manifestement mal fondés car des consultations ambulatoires données par des professionnels en soins psychiatriques font l’affaire.  Nos recours sont rejetés et l’assistance judiciaire est refusée.

Arrivés à ce stade, pour deux des affaires que nous défendons, il ne reste donc plus que d’en appeler à la Cour de Strasbourg qui pourrait rendre justice aux patients concernés.

Nous avons donc gratté tous nos fonds de tiroirs et épuisé notre Fonds de défense judiciaire constitué de vos dons. Nous avons compté avec le travail quasi bénévole de notre avocate et ainsi, nous sommes tout juste parvenus à couvrir les frais inhérents aux dépôts de recours. Et, nous avons pu déposer les deux requêtes à la Cour européenne dont il est question dans ces <Nouvelles>.

La première requête est celle de Christian* dont nous avons relaté les événements significatifs de son parcours depuis les premières <Nouvelles du Collectif 59> .

La deuxième requête concerne Marc* que nous connaissons quasiment depuis le début de son incarcération en novembre 2015. C’est la première fois que nous vous parlons de lui et dorénavant, nous vous informerons aussi de l’évolution de cette affaire dans les prochaines <Nouvelles>.

Marc* et Christian* souffrent de troubles psychiques. Ils ont commis des délits qui leur ont valu à tous deux moins d’un an et demi de privation de liberté. Tous deux ont été détenus dans diverses prisons pour l’exécution de mesures thérapeutiques et ont largement purgé leur peine. Marc* et Christian* ont aussi tous les deux vu leur recours rejeté par le Tribunal fédéral.

Les arguments de ces deux requêtes invoquent le non respect des articles 3 et 5 de la Convention européenne des droits humains :

Art 3 CEDH :   Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. 

Art.5 ch.1 :       Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voie légales :    

      a)    S’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent;
      e)     S’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond;

Voyons maintenant les arguments déployés pour chaque affaire.

Affaire Christian*

Lors des Nouvelles du Collectif 59 du mois de juillet dernier, nous partagions avec vous la satisfaction d’avoir remporté une Victoire d’étape, le Tribunal cantonal validait notre recours et accordait la libération conditionnelle à Christian*. Il est enfin libre. Et, maintenant, dans le foyer, où il a choisi de rester, il va bien. Il réapprend à vivre en liberté et avec un handicap psychique.

Cependant, presque trois ans en prison pour une bagarre, c’est long. Une fois déduits les 12 mois de sanction, il reste  698 jours de trop. De trop, car illicites en regard de la CEDH. Cependant, ce n’est que le placement illicite de 390 jours de détention à la prison des Établissements pénitentiaires de la plaine de l’Orbe, la Colonie ouverte, qui a fait l’objet de cette requête.  La Cour entre en matière puisqu’elle a déjà accusé réception et attribué le No 14823/23 à cette requête.

Objet de la requête :

Cette requête porte donc sur la décision de l’Office d’exécution des peines du 27 janvier 2022 qui ordonnait le placement de Christian* à la Colonie ouverte, secteur faisant partie de la prison des  EPO (Établissements pénitentiaires de la Plaine de l’Orbe). Décision avalisée par le Tribunal fédéral, dans son arrêt du 29 novembre 2022. Ceci, dans le but que la Suisse soit obligée d’admettre que la prison n’est pas un lieu d’exécution de mesures, et indemnise les patients détenus en illégalité.

La maladie psychique n’est pas un crime – Violation de l’Art. 3 de la CEDH

Art 3 CEDH :   Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. 

Nous invoquons le fait qu’il y a maltraitance à placer un patient atteint d’une grave pathologie psychique en prison, même si c’est le secteur ouvert d’un établissement pénitentiaire, comme l’est La Colonie ouverte. Christian* a subi un placement sans avoir de condamnation et sans connaître la date de sa libération ; Il a dû partager son quotidien avec des détenus de droit commun, délinquants ou criminels ; il a suivi un traitement psychiatrique de seconde zone où l’accès aux soins en santé mentale était limité à la suppression du risque de récidive ou de fuite. La mission d’une prison est avant tout punitive et sécuritaire, à l’opposé des buts d’une structure qui vise le rétablissement de la santé mentale.

Victime de présomption de violence, Christian* est rendu coupable, par son placement à la Colonie ouverte, de son diagnostic. C’est par conséquent une discrimination humiliante, une atteinte à la dignité humaine. C’est un traitement inhumain et dégradant et inadmissible pour un pays comme la Suisse.

Sans peine, pas de prison –  Violation art 5 ch 1 lettre a CEDH

Art.5 ch.1  Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf <…> a)s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent;

Incarcéré en prison le 12 mai 2020, Christian* a été condamné en 2021 à 12 mois de privation de liberté. Lors de son placement à la Colonie ouverte, il avait déjà purgé sa peine depuis 336 jours. Une détention régulière en prison signifie que l’on est condamné à une peine privative de liberté. Comme Christian a payé pour son délit et qu’il est illégal de le maintenir en prison selon l’article 5 lettre a) de la CEDH. La Suisse doit l’indemniser pour les jours subis en détention illicite.

La détention en prison doit avoir un lien direct avec la condamnation initiale. Dès le moment où Christian* a purgé l’entier de la peine, sa détention n’étant plus en lien direct avec la condamnation initiale, le lien de causalité est rompu après l’échéance de la peine. Ainsi, le maintien de Christian en prison est illicite.

La Colonie ouverte n’est pas un établissement fermé – Violation art 5 ch 1 lettre e CEDH

Art.5 ch.1 Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf <…> e) S’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond;

Le cas échéant, en Suisse, la détention en prison ne peut se fonder que sur une indication médicale permettant la privation de liberté d’une personne atteinte d’un trouble mental.

Placement en établissement fermé selon (art. 59 al. 3 du CPS).

Christian a été placé sur décision de l’Office d’exécution des peines en établissement fermé estimant qu’il y avait à craindre qu’il commette de nouvelles infractions dans le cas où il pourrait arrêter son traitement. Relevons que Christian* n’a jamais été condamné pour des crimes, mais uniquement pour des délits. Selon le Code pénal suisse, il n’est ainsi pas considéré comme dangereux.

Agravation de l’état de santé

En détention, l’état de santé de Christian* s’est aggravé. Il a dû être transféré à plusieurs reprises, en état de décompensation, à l’Unité psychiatrique de la prison et à l’Unité hospitalière de Curabilis. Manifestement le traitement ambulatoire dispensé par le Service de psychiatrie pénitentiaire de la Croisée et ensuite à la Colonie ouverte des EPO était largement insuffisant. Il n’avait pas accès aux soins dont il avait besoin. De plus, il pouvait rester dans ces unités psychiatriques juste le temps de la stabilisation de la crise, ensuite il devait retourner dans le secteur cellulaire.

Placement en prison à La Colonie ouverte, un contre-sens

Selon l’art. 59 al.3 du Code pénal, un placement en établissement fermé ne peut légalement se justifier que dans la mesure où il y a lieu de craindre que l’auteur ne s’enfuie ou ne commette de nouvelles infractions. Or, l’Office d’exécution des peines en ayant transféré Christian* à la Colonie ouverte a ainsi admis qu’il pouvait être placé dans un établissement ouvert.

La justification du maintien en détention se base, entre autres, sur le risque de fuite. Ordonner le placement en prison à La Colonie ouverte apparaît pour le moins comme un contresens.

Le placement en prison à La Colonie ouverte, une maltraitance

C’est donc illégalement qu’il a été maintenu en prison où il n’a  bénéficié d’aucun soutien socio ou psychothérapeutique en dehors d’un entretien avec un psychiatre, bimensuel tout au plus.

Quoiqu’en pensent nos autorités judiciaires, 15 à 60 minutes par mois d’entretien avec un psychiatre ne répond pas à la définition d’« établissement psychiatrique approprié » dont il est question à l’art. 59 du Code pénal suisse. La Colonie ouverte ne disposant pas de section spéciale pour des détenus atteints dans leur santé mentale, ceux-ci doivent cohabiter avec les délinquants et criminels de droit commun.

Dans ces conditions, la détention prolongée au-delà de la sanction contribue à ralentir la reconstruction d’une image de soi positive et l’élaboration d’un savoir vivre avec un diagnostic de troubles mentaux. L’exécution d’une mesure thérapeutique en prison est une sanction supplémentaire discriminante pour les personnes concernées. En plus de la dégradation de la santé du détenu, elle est un frein à sa réhabilitation. Et l’on peut parler de maltraitance.

La détention de Christian* à la Colonie ouverte, du 11 mars 2022 au 5 avril 2023 date de sa libération conditionnelle ne correspond manifestement pas aux critères d’une institution psychiatrique digne de ce nom, elle est donc illicite. Christian doit être indemnisé pour les 390 jours subis, en détention dans un établissement carcéral.

Affaire Marc*

Le parcours de Marc* est également révélateur des carences du système carcéral en matière d’exécution de mesures thérapeutiques en prison. Mais aussi sur le manque d’intégration des proches dans le processus de rétablissement. En quelques mots, voici son histoire.

Son histoire, en bref

Un Vaudois à l’enfance sans histoire, rattrapé à l’adolescence par les troubles psychiques

Né en 1983, sensible, attachant, Marc* était bon élève à l’école, doué dans de nombreux domaines, tout semblait lui sourire jusqu’ à ce que la maladie le rattrape à la sortie de l’adolescence. En 2005, il obtient la rente AI en raison de troubles psychiques. Plusieurs diagnostics sont posés, trouble bipolaire, trouble schizo-affectif de type maniaque. Pathologie aggravée encore par la suite par ses addictions (stupéfiants, alcool). Il est aussi question de délires mystiques et d’anosognosie. À partir de 2005, c’est la valse des hospitalisations, des périodes de rémission et des rechutes durant lesquelles Marc commet divers délits mineurs. Les délits devenant de plus en plus inquiétants, la famille s’inquiète mais n’est pas entendue par l’équipe soignante.

Un sérieux dérapage qui aboutit en prison

Lors de sa dernière hospitalisation en été 2015, Marc* obtient un congé. La mère, non informée, voit arriver son fils très agité devant chez elle. Et en un rien de temps, la situation explose et devient incontrôlable. Marc* énervé part dans un discours mystique incompréhensible pour ses interlocuteurs. Et ce qui était prévisible arrive : Marc* blesse très sérieusement le bras d’une des personnes présentes. La police intervient. Et, c’est à la prison de La Croisée, où sont détenues les personnes avant jugement, que Marc* commence son parcours carcéral.

Marc* a été condamné à une peine de prison à une peine privative de liberté de 15 mois. Le tribunal l’a déclaré totalement irresponsable pour une partie des faits reprochés et il a ordonné, conformément aux conclusions de l’expertise psychiatrique, une mesure thérapeutique en institution psychiatrique, selon l’art. 59 al.3 du Code pénal.

Malgré cela, il a dû exécuter la mesure thérapeutique en prison jusqu’au début de l’année 2021 à l’exception d’un placement dans une institution pour adultes en difficultés, qui n’a duré que 7 jours. Tentative de placement avortée en raison d’une fugue d’une vingtaine d’heures. Fugue qui lui a valu un premier retour illicite à la case prison. La fugue devant faire partie des accrocs d’un projet de rétablissement.

Deuxième tentative de placement en foyer

Ce n’est qu’à partir du 25 janvier 2021,  que Marc*a été placé dans un établissement psycho-social médicalisé. Pourtant, les experts avaient préconisé, en 2016 déjà, que “pour diminuer le risque de récidive l’expertisé avait besoin d’un traitement médicamenteux, d’un suivi psychiatrique et psycho-éducatif et d’un cadre étayant, structurant et contenant. Sur un plan psychiatrique, un foyer est le lieu psycho-éducatif le plus à même d’offrir le traitement adéquat à l’expertisé“.

Un singulier manque de coordination

Alors que Marc* montrait de sérieux signes de décompensation difficilement maîtrisables par l’équipe éducative du foyer concerné, il reçoit le 23 septembre 2021, la décision de la Juge d’application des peines ordonnant sa libération conditionnelle. La condamnation initiale est ainsi définitivement purgée, même si la libération est assortie de conditions.

Cette décision de libération conditionnelle a fait l’effet d’un booster et en quelques jours la décompensation psychiatrique était telle qu’une hospitalisation à fin d’assistance (PLAFA) a été ordonnée. Marc* ne voulait/ne pouvait pas entendre que cette liberté tombée du ciel comportait des conditions.

Deuxième retour à la case prison

Comme cela était prévisible, dès décembre 2021, Marc* se retrouve en prison. La Juge d’application des peines a révoqué sa libération conditionnelle et l’Office d’exécution des peines a ordonné, le 16 décembre 2021, sa réintégration en milieu fermé, soit en prison à Orbe, d’abord à la Croisée puis à la Colonie fermée. Inutile de dire que son état se dégrade encore. Quand il n’est pas confiné avec des prisonniers de droit commun, il est envoyé à l’isolement près de six semaines consécutives, ce qui est contraire à la loi.

Enfin le placement à Curabilis

Le 9 janvier 2023, enfin, Marc* est placé à l’Unité fermée de mesures thérapeutiques de Curabilis.

Et venons maintenant à la requête adressée le 7 août 2023 à la Cour européenne des droits humains.

Objet de la requête :

Dès le retour de Marc* en prison, nous avons contesté son placement à la Croisée et à la Colonie fermée, ceci, jusqu’au Tribunal fédéral. Dès lors que dans son arrêt du 29 mars 2023, la plus haute instance de notre pays a rejeté nos recours et validé les deux placements de Marc*, nous n’avions pas d’autre choix que de porter cette affaire à la CrEDH à Strasbourg. Notre but étant toujours que la Suisse soit obligée d’admettre que la prison n’est pas un lieu d’exécution de mesure et indemnise les patients détenus en illégalité.

La maladie psychique n’est pas un crime – Violation de l’Art. 3 de la CEDH

Art 3 CEDH :   Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. 

Nous invoquons le fait que le placement à la Croisée et à la Colonie fermée sont illicitespar le fait que la Suisse se contente de substituer à l’établissement offrant les soins indispensables à rétablir la santé mentale et prévenir les risques de récidive, la prison dotée d’un service médical surchargé offrant des soins ambulatoires.

Tout comme dans l’Affaire de Christian*, le Tribunal fédéral nie l’évidence et se convainc que quelques entretiens de psy avec le patient gravement atteint et détenu derrière les barreaux va permettre le rétablissement et la non récidive. À la page 19 de son arrêt du 29 mars 2023 on lit : « On pourrait commencer par se demander si la Colonie fermée des EPO <Établissement de la plaines de l’Orbe> ne pourrait être assimilée à un service de santé mentale dans la mesure où elle est dotée des ressources et moyens nécessaires pour garantir une prise en charge thérapeutique effective. ».

Le Tribunal fédéral pense-t-il sincèrement que le personnel en prison présent 24/24 a le même cahier des charges ? la même formation ? les mêmes compétences que le personnel d’une institution psychiatrique ?

C’est grave, non ? On croit rêver !

Sans peine, pas de prison –  Violation art 5 ch 1 lettre a CEDH

Art.5 ch.1  Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf <…> a)s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent;

Le jugement initial est celui du 17 août 2017 et, depuis le temps, Marc* a purgé l’entier de sa peine. Il a été libéré conditionnellement de la mesure. En ne respectant pas les règles du foyer, il a désobéi, ne respectant pas les conditions de sa libération. Mais, il n’a commis aucune nouvelle infraction et la désobéissance aux règles n’est pas un délit punissable par le Code pénal. C’est pourquoi le retour en prison est illégal car sans fondement judiciaire.

La Colonie fermée n’est pas une institution psychiatrique fermée – Violation art 5 ch 1 lettre e CEDH

Art.5 ch.1 Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf <…> e) S’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond;

Le cas échéant, en Suisse, la détention en prison ne peut se fonder que sur une indication médicale permettant la privation de liberté d’une personne atteinte d’un trouble mental.

Placement abusif à La Croisée et à la Colonie fermée

Ce retour à la case prison, juste avant Noël, alors que Marc* est encore très instable et dans la révolte, a quelque chose de choquant. Antithérapeutique, cette décision a bien sûr été perçue par Marc* comme une punition.

Concrètement, dans cette affaire, tout porte à dire que la détention de Marc* en prison est abusive :

Pas d’indications médicales

Le retour en détention de Marc* est fondé sur le rapport de la psychiatre mandatée par l’Office d’exécution des peines pour assurer le suivi du traitement. Il stipule que l’état psychique de Marc* était inquiétant, que l’état de dangerosité pour lui-même (suicide) comme pour autrui (homicide) en milieu libre était élevé. Elle conclut en préconisant une obligation de soins dans un hôpital psychiatrique en milieu fermé (tel que Curabilis).

Dans son expertise le Dr Rigobert Hervais Kamdem a confirmé cet avis et a indiqué que “l’année 2022, où la mesure thérapeutique institutionnelle a tenté de se dérouler dans une unité psychiatrique en milieu pénitentiaire, ne semble pas avoir apporté un bénéfice thérapeutique. Les raisons sont probablement multiples <…> cadre thérapeutique d’une unité psychiatrique carcéral insuffisant (pas de présence soignante 24h/24 par exemple).

Des soins insuffisants

Rappelons que le placement en Unité psychiatrique carcérale n’est possible qu’en cas de décompensation et le reste du temps le patient est placé dans un secteur purement carcéral avec les détenus de droit commun sans soins permanents à l’exception d’un traitement ambulatoire. En réalité, ce traitement se résume trop souvent un entretien de 15 à 20 minutes par quinzaine quand il n’y a pas de problème particulier. La question de la prise de médicaments est abordée et, s’il reste du temps, on reviendra sur les raisons qui ont conduit le patients en prison. En fait, il n’y a pas suffisamment de personnel spécialisé sur place.

Les 6 derniers mois de 2022 de détention à la Colonie fermée ont été ponctués de 7 courts séjours à l’Unité hospitalière de Curabilis. Ces malheureux allers et retours démontrent l’instabilité encore actuelle de Marc*. De positif, nous retiendrons un échange avec Marc* où il décrit l’institution qui pourrait l’aider. L’Unité de mesures fermée de Curabilis coche bien quelques cases, et ça tombe bien car le 4 janvier 2023, l’Office d’exécution des peines décidait enfin du placement de Marc* dans le seul établissement fermé adapté pour l’exécution des mesures thérapeutiques de Suisse romande. Depuis le 9 janvier 2023, il est placé à l’Unité de mesures fermée de Curabilis. Certes, il s’agit d’un établissement pénitentiaire, mais qui dispose du personnel soignant sur place. C’est donc un établissement approprié, et légalement correct.

Le Service d’exécution des mesures n’a pas mis Marc* sur la liste d’attente de Curabilis immédiatement dès son arrestation le 14 décembre 2021, alors que les thérapeutes préconisaient déjà cet établissement depuis longtemps. Marc* ayant été malmené par des détenus de droits communs, il eût été d’autant plus important qu’il ne fut pas en contact avec ces détenus. Et, finalement vu la gravité de ces troubles, il était urgent qu’il puisse disposer de l’accompagnement d’un personnel soignant 24h/24.

L’État n’a pas fait son possible pour placer Marc*dès son retour en prison dans un établissement adéquat comme préconisé par sa thérapeute. La détention de Marc* du 14 décembre 2021 au 9 janvier 2023, date de son transfert à Curabilis, est donc illicite. Il doit être indemnisé pour les 391 jours subis en détention dans un établissement carcéral.

Affaire Raphaël*

Depuis nos dernières Nouvelles , rien n’a beaucoup changé.

Nous sommes toujours dans l’attente de la réponse de la COP (Commission vaudoise des plaintes des patients) à la dénonciation que les parents avaient déposée en automne 2022. Nous espérons vivement une réponse que nous pourrons évoquer dans les prochaines Nouvelles du Collectif 59. Nous y ferons aussi le point sur la situation de santé et les projets de Raphaël.

Un fonds de défense juridique, pourquoi ?

En avril 2022, nous avons gagné le recours pour le droit au remboursement des frais médicaux aux patients-détenus en prison. Dernièrement, nous avons gagné le recours pour la libération conditionnelle de Christian*. Maintenant nous avons pu déposer deux requêtes à la Cour européenne des droits humains à Strasbourg. Nous sommes convaincus que l’engagement, la détermination et la persévérance dans la lutte pour plus de justice c’est payant.

De recours en appels, d’oppositions en dénonciations, nombreuses sont les démarches à effectuer pour parvenir à la reconnaissance de simples évidences. Et lors que nous recevons une décision ponctuée par « le recours est manifestement mal fondé » et bien, l’Affaire en question est privée de toute aide financière. C’est donc grâce à vos dons que nous pouvons continuer de lutter et atteindre finalement notre but : pas de prison comme lieu d’exécution d’une mesure thérapeutique.

Comme nous le disions plus haut, nous avons épuisé notre Fonds de défense judiciaire généreusement constitué de vos dons récoltés lors de notre appel du mois de septembre 2021. L’énorme travail bénévole ne suffisant pas, nous voilà à nouveau contraints d’en appeler à votre soutien financier. Nous savons que nous pouvons compter avec vous et nous vous en sommes infiniment reconnaissants. Il n’y a pas de petits montants, tous sont les bienvenus.

En conclusion

Grâce à votre générosité, nous pourrons lutter jusqu’à ce que nous obtenions la reconnaissance que la prison n’est pas un lieu permettant l’équivalence des soins en santé mentale dont peuvent prétendre les habitants domiciliés en Suisse.

Croisons les doigts pour que la réponse à ces deux requêtes déposées à Strasbourg, soit empreinte de bon sens et qu’elle prime sur les contorsions juridiques de nos autorités judiciaires. Ainsi, cesseront les maltraitances et discriminations découlant du non accès à des soins en santé mentale dignes d’un pays réputé riche.

Nous vous remercions sincèrement pour votre intérêt, votre soutien solidaire et chaleureux.

Pour le Graap-A ,Mme Dominique Hafner, Présidente

Pour lAction Maladie Psychique et Prison du Graap,

Karen Hafsett Nye, Coordinatrice et Madeleine Pont, Resp. AMPP

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